« LA CRISE » par Férid Ben Brahim, président de l’Association Tunisienne de l’Analyse Financière (ATAF) [suite]

L’onde de choc de la crise financière, déclenchée aux Etat Unis en 2007 mais restée loin de nos rivages, est arrivée. La bourse de Tunis, après un beau parcours en 2008 (30 % à la date du 9 septembre 2008 le plus haut de l’année) est entrée depuis lundi 6/10 dans une phase de turbulences, avec des volumes importants à la vente, et une baisse corrélative des titres les plus traités. Cette baisse par rapport au plus haut point jamais atteint par le Tunindex n’est (que) de 9,8% et laisse encore une confortable avance pour les actions tunisiennes de 17,5% depuis le 1er janvier 2008. Toutefois même s’il reste limité et qu’il s’étale sur un mois, rien ne justifie un mouvement de baisse de cette ampleur. Rien de concret n’explique la baisse d’actions de sociétés qui enregistrent de bons résultats, avec des semestriels en progression de 30% en moyenne. La seule et unique explication réside dans une inquiétude provoquée par des événements externes. Cette inquiétude est elle motivée ? Cette question mérite assurément analyse. Examinons là méthodiquement et sereinement.


Une affirmation évidente et vérifiable. En ce qui concerne la crise financière, il est
impératif de savoir que les banques tunisiennes n’ont aucune exposition aux montages sophistiqués et aux crédits à risque, qui ont été disséminés dans le monde du fait de la titrisation. Nos banques ne financent que les entreprises tunisiennes et l’essentiel de leurs ressources est en dinars (moins de 3% du passif constitue des ressources spéciales empruntées auprès d’institutions étrangères). De ce point de vue, les risques de contagion du système financier tunisien par la baisse de valeur des actifs étrangers ou le resserrement du crédit apparaissent extrêmement limités.


Examinons de manière un peu plus poussée le segment immobilier, qui a été le
déclencheur de la crise aux USA :


- Les crédits immobiliers en Tunisie sont de deux types. Le premier, le plus important, est le financement de l’acquisition de logements, qui est assuré en grande partie par l’épargne des ménages et les ressources longues des banques, qui sont presque totalement en dinars.


Est-ce que ce segment est à risque ? Pour qu’une crise immobilière se déclenche ; il
faudrait la concomitance d’un double choc : sur la solvabilité des ménages et sur la valeur des biens immobiliers. Rien ne permet d’indiquer que ces chocs soient probables ou se justifient. Certes le foncier a beaucoup augmenté, entraînant dans son sillage le prix des logements, favorisé par les prix des matériaux de construction. De là à imaginer aujourd’hui une crise, il y a un grand pas. De manière plus particulière en ce qui concerne les ménages à revenu faible, leur financement est assuré essentiellement au travers du FOPROLOS qui donne des prêts pour acheter des logements sociaux. Ces prêts sont très longs, à taux fixes et gérés par la BH pour le compte de l’Etat, qui en cas de défaillance, s’en porte garant. A la différence des subprimes, ce système dure depuis longtemps et a montré les preuves de son adaptation.


Passons maintenant à la sphère réelle et à ses répercussions sur l’économie tunisienne :

- L’Europe est touchée par la crise financière. Pour un pays comme la Tunisie
extrêmement ouvert (nous exportons 44% de notre PIB et en importons 49%) et qui
réalise 80% de ses échanges extérieurs avec l’Union Européenne, l’impact du
ralentissement de la zone Euro sera difficile à éviter si ce ralentissement se confirmait.
Dans ce cas, les industries exportatrices (sous-traitance automobile, textile) risqueraient
d’être affectées.


Dans quelle proportion, et pour combien de temps, cela est difficile à estimer. Cela étant, nous rappellerons que, même dans des périodes difficiles comme la guerre du Golfe en 1991 ou après les attentats de septembre 2001, notre économie à su résister et rebondir très rapidement. Nous n’avons connu aucune récession depuis 21 ans, quelle que fut la conjoncture extérieure, car l’économie tunisienne est diversifiée, petite, opérant souvent sur des niches ; et que la demande locale contribue aussi à tirer la croissance.


Enfin, pour revenir enfin sur le chapitre de la crise internationale et de ses perspectives de sortie. L’accumulation des plans de toutes sortes, aux USA mais aussi en Europe, les milliards de dollars et d’euros injectés ; les nationalisations de banques, les baisses généralisées des taux directeurs, commencent à ramener un semblant de sérénité. Les banques semblent moins frileuses sur leurs liquidités et les taux interbancaires redeviennent normaux. La paralysie du marché interbancaire avait mis des établissements en faillite potentielle. Par extension, les banques ne pouvaient plus prêter aux particuliers et aux entreprises, déprimant consommation, marché immobilier et investissement.


Pouvait-on imaginer que toutes ces liquidités, facilités etc. n’aient aucun effet ? Non, ils ont eu de l’effet, car si les arbres ne montent pas au ciel, même les gouffres ont une limite.


Enfin, last but not least, il est intéressant de constater que beaucoup de pays reviennent aujourd’hui vers des modèles d’intervention de l’Etat dans les garanties des actifs voire même dans des prises de participation de l’Etat dans le capital des banques (USA et GB, France, Belgique, Islande, etc.) ou dans le contrôle de l’institut d’émission des prêts accordés. Si la crise que nous observons est un échec du modèle ultralibéral US, il y aura forcément des ajustements dans le futur.


Entre le laisser faire total qui entraîne le laisser-aller et le contrôle total qui engendre la frilosité, il y a la place pour un modèle d’intervention mesurée de l’Etat qui aiderait un peu la fameuse « main invisible » d’Adam Smith.


Férid Ben Brahim

Directeur Général Axis Bourse

Président de l’Association Tunisienne de l’Analyse Financière (ATAF)

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