Monde Arabe : La sécurité alimentaire et la transition énergétique, éléments centraux dans la lutte contre l'inflation, selon Moez Labidi

L'Institut Arabe de Planification (API - Arab Planning Institute), a publié une note sur la situation de l'inflation dans le monde arabe, les multiples raisons de sa hausse, les dangers et l'efficacité des politiques adoptées pour y faire face. Le document a été élaboré par Moez Labidi, ancien membre du conseil de la Banque centrale de Tunisie, et ancien conseiller économique du chef du gouvernement Elyès Fakhfakh, aujourd’hui conseiller auprès de la Direction de l'Institut.
 
Selon Moez Laabidi, différents facteurs  ont joué un rôle important dans la vague d'inflation que connaît la région, dont le déficit des balances alimentaires, et les dépréciations des monnaies locales par rapport aux devises étrangères. L'étude suggère qu'un retour aux niveaux d'inflation d'avant COVID-19 serait difficile en l'absence de politiques d'amélioration du climat de l'investissement et avec des taux de croissance bas. L'efficacité des politiques monétaires sera limitée tant que les risques sur la sécurité alimentaire et énergétique ne sont pas couverts, les banques centrales arabes devront revoir leur politique de communication dans un contexte international dominé par l'incertitude et la multiplication des chocs. Par ailleurs,  les autorités monétaires des pays arabes sont confrontées au dilemme du choix entre durcissement de leurs politiques pour confronter l'inflation et les mesures pour booster l'activité économique après les dommages engendrés par la crise sanitaire.
 
Moez Labidi cite parmi les éléments conjoncturels qui ont poussé la hausse de  l'inflation, les retombées de la guerre en Ukraine, les grandes perturbations dans les chaînes d'approvisionnement durant la pandémie, les injections excessives de liquidités et les politiques incitatives pour soutenir la reprise économique après la crise sanitaire, les recours par plusieurs pays confrontés à un endettement élevé à la révisions des prix des produits subventionnés face à l'étroitesse de leurs marges de manoeuvre budgétaires, et la reprise économique post COVID dans certains pays qui a boosté la demande. D'autre part, beaucoup de pays arabes ont été confrontés à une vague inflationniste après les tours de vis opérés par plusieurs banques centrales dans le monde, et le renchérissement du dollar qui s'en est suivi. Cette inflation importée a beaucoup pesé sur les indices des prix dans les pays non exportateurs de pétrole de la région, alors que les pays du Golfe et la Jordanie, les effets en ont été presque nuls, du fait du système de change au taux fixe.
 
Les facteurs structurels sont en lien avec l'incapacité des pays arabes à atteindre la sécurité alimentaire et s'intégrer dans la transformation énergétique, en l'absence d'une vision stratégique intégrée et cohérente. Le déficit des balances alimentaires est aujourd'hui exacerbé par des facteurs comme la sécheresse et le manque d'eau. Par exemple, le niveau de remplissage des barrages en Tunisie ne dépasse pas les 34%, contre une moyenne de 47% sur les trois années précédentes. La situation est largement plus ressentie dans les pays non pétroliers, où la proportion des dépenses alimentaires dans le total des dépenses des ménages est relativement importante, 38% au Maroc, 33% en Egypte, contre seulement 13% au Qatar et 19% en Arabie Saoudite à titre d'exemple.
 
Sur le plan mondial, les éléments structurels qui ont aggravé la montée de l'inflation sont nombreux. Par exemple, le repositionnement des investissements avec les politiques de plus en plus protectionnistes de certains pays développés et leurs tendance à inciter leurs entreprises à relocaliser leurs investissements en local, ce qui serait de nature à augmenter les coûts de production. A cela s'ajoutent les évolutions démographiques et les coûts de la transition énergétique, souligne l'étude de Moez Labidi, d'autant plus avec l'aggravation des conditions climatiques et la multiplication des phénomènes naturels alarmants, ajoute l'auteur. La transition vers les énergies renouvelables ne s'est pas opérée au rythme voulu et sera à court et moyen termes inflationniste par excellence selon Labidi. L'expert cite par exemple, la hausse vertigineuse des prix de certains matériaux, comme le lithium (+1000% depuis 2020), qui est un composant essentiel dans la fabrication de batteries électriques.
 
Pour conclure, la sécurité alimentaire et la transition énergétique sont les principales recommandations de l'étude. Les pays arabes devront se prémunir d'une certaine immunité au niveau alimentaire et énergétique, pour que les politiques monétaires puissent être efficaces dans la lutte contre l'inflation. Ces dernières devront aussi s'opérer en coordination avec les politiques générales des pays, avec des réformes structurelles pour limiter les effets des resserrement monétaire sur la croissance et l'emploi. 
 
Moez Labidi souligne l'importance de l'implémentation d'une nouvelle vision agricole, portée sur la sécurité alimentaire, la rationalisation de la consommation d'eau et de l'irrigation, le renforcement de la coopération entre les pays arabes qui disposent d'importantes surfaces cultivables et ceux dotés de fortes capacités de financement, et le soutien à la recherche et développement en matière agricole...
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