COVID-19 - Mesures économiques : l’arme fiscale n’est pas la solution !

Pour faire face aux retombées sanitaires, économiques et sociales du COVID-19, de nouvelles mesures seront annoncées sous peu par le gouvernement sous forme de décrets lois dans le cadre de l'article 70 de la constitution. Parmi ces décrets lois, figurent quelques mesures d'ordre fiscal visant à imposer les personnes physiques et morales à travers des contributions exceptionnelles.

Au moment où beaucoup de pays recourent à la remise à flot de leurs économies, à travers les injections de fonds, les « helicopter money », les plans de garanties, les baisses des taux, etc., une telle mesure de renforcement de la pression fiscale sur les contribuables tunisiens les plus transparents, serait malvenue et serait contreproductive. Les finances publiques tunisiennes ne permettent certes pas de telles largesses, néanmoins alourdir la fiscalité ne pourrait être qu’une « solution » de facilité.

La pression fiscale tunisienne, qu’elle soit directe ou indirecte, est déjà la plus lourde en Afrique et parmi les plus lourdes au monde. En plus, de telles mesures toucheraient bien-sûr les personnes les plus transparentes, puisque ceux qui ne paient pas d’impôts vont continuer à ignorer leur devoir fiscal, quelques soient leurs taux d’imposition. Il serait plus judicieux de prendre les mesures nécessaires pour élargir l’assiette fiscale en ramenant les récalcitrants du secteur informel à s’acquitter de leurs impôts. Il est grand temps de s’en occuper sérieusement au lieu de s’en prendre aux contribuables (salariés, entrepreneurs, PME, etc.) en règle.

Recourir à l’arme fiscale en ces temps durs de Coronavirus est contreproductif car, tout au long de la dernière décennie, le secteur privé a démontré qu’il gère mieux l’argent que l’Etat qui n’a fait, sous la houlette de (presque) tous les gouvernements qui ont présidé à ses destinées, qu’augmenter son train de vie (dépenses courantes, salaires, surendettement public, mauvaise gestion de l’écrasante majorité des entreprises publiques, etc.).

Au lieu de casser la « poule aux œufs d’or », le gouvernement serait mieux inspiré de mener une guerre sans merci contre les contrebandiers et les hors-la-loi qui accumulent des fortunes immenses aux quatre coins du pays que de pénaliser les honnêtes contribuables qu’ils soient salariés, entrepreneurs indépendants ou entreprises.

En outre, et au-delà  des mesures prises dans l’urgence pour faire face aux conséquences sanitaires, sociales et économiques lourdes du COVID-19, le gouvernement doit préparer l’après-crise par de vrais projets et de vraies réformes. Tous les secteurs recèlent des opportunités à saisir au vol. La crise du Coronavirus a eu un double-mérite, celui d’avoir mis à nu les faiblesses de pans entiers de l’économie tunisienne : finances publiques limitées, infrastructure sanitaire assez faible, frange importante de la population dans la précarité sociale, etc. Le second mérite du vilain virus est d’avoir révélé des Tunisiens talentueux dans tous les domaines : des scientifiques de grande valeur, des médecins et un personnel de santé de haut calibre, des ingénieurs de haut vol, des managers et des startuppers créatifs aux commandes d’entreprises ou d’ONG solidaires avec les personnes les démunies. Ce capital humain de qualité et cette armée silencieuse, qui nous font oublier le temps de la crise les médiocres qui occupent la scène médiatique et qui empoisonnent la vie des tunisiens depuis des années, pourraient constituer la cheville ouvrière des chantiers de demain.

Outre la nécessité de secourir en urgence les secteurs sinistrés, tels que le tourisme, le transport aérien et une multitude d’autres activités, cette crise trace déjà les pistes des réformes à entreprendre dans les semaines et les mois prochains. Beaucoup de chantiers s’imposent déjà aux gouvernants du pays :  la digitalisation (enfin !) de l’administration, le ciblage des bénéficiaires des subventions à travers l’identifiant unique, les investissements dans la santé et les sciences de la vie, dans les infrastructures, dans l’éducation, dans l’e-learning, dans les Fintechs, dans l’Intelligence Artificielle (IA), dans les énergies renouvelables, dans la culture, dans la réindustrialisation de la Tunisie, l’agriculture, le e-commerce, la réforme du secteur bancaire trop fragmenté, etc.

La mise en place de ces chantiers nécessite beaucoup de fonds, largement supérieurs à ceux que pourrait collecter l’Etat à travers des économies de bout de chandelle et des ponctions fiscales effectuées ici et là. Cela pourrait se faire à travers l’attraction de partenaires (Private equity, industriels étrangers, etc.) ou même à travers une mobilisation de la dette, du moment qu’elle soit dans des investissements rentables et non pour payer des salaires ou des dépenses courantes. Cela nécessite beaucoup de doigté pour améliorer le climat des affaires et favoriser l’attractivité du pays pour les investisseurs et les bailleurs de fonds, une diplomatie économique dynamique, etc.

Nos partenaires européens ont découvert, à leurs dépens, lors de cette crise globale du Coronavirus qu’ils avaient perdu leur « souveraineté » en se désengageant massivement de l’industrie (entre autres des masques, des respirateurs, etc.) au profit des pays asiatiques. Ils sont en train d’en tirer les conséquences et comptent revenir dans la course industrielle pour des questions de « souveraineté ». Cela constituerait une occasion en or pour la Tunisie pour créer avec les européens des joint-ventures industrielles dans plusieurs secteurs, comme le textile qui va regagner de l’intérêt et dans lequel nous disposons d’un historique très honorable et d’une expertise indéniable.

Les chefs d’entreprise du privé, dont certains de leurs détracteurs ont saisi la crise du COVID pour sortir leurs vieux démons communistes refoulés et pour leur montrer toute la haine qu’ils vouent au secteur privé, pourraient être mis à contribution par des actions positives telles que la création d’activités économiques viables, notamment dans les régions défavorisées et les quartiers populaires pour en faire des zones vivables.

Tous ces programmes, projets, chantiers, etc. ne pourraient être mis en place avec une fiscalité confiscatoire. Il faut revenir, au plus vite, à une fiscalité équitable et inclusive en élargissant l’assiette et en modérant les taux.

Dans un récent ouvrage, le prix Nobel de l’économie Joseph Stiglitz, loin d’être un partisan du libéralisme « sauvage », souligne que : « L’effet expansionniste de la dépense publique pèse plus lourd que l’effet récessionniste de l’impôt ».

A bon entendeur,…

Naoufel Ben Rayana


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