Bourse de Tunis : Ce qu'il faut retenir de l'année 2018

L’année boursière 2018 se termine très mal. Après avoir culminé à +34% à la fin du mois d’août, le marché n’a pas cessé de corriger perdant plus de 20 points de rendement pour revenir à 15 % . Malgré tout, ce rendement peut être considéré comme satisfaisant compte tenu d’une situation économique compliquée et des taux d’intérêt en forte hausse ce qui a fortement diminué l’attrait des actions. Le marché a connu un début en fanfare porté par un appétit gargantuesque pour les valeurs bancaires et pour d’autres poids lourds du marché. Au cours du 1er trimestre, le marché a déjà progressé de plus de 15% avec un mois de Mars très performant avec près de 7% à lui tout seul. Le deuxième trimestre a été tout aussi rentable en enchaînant avec un autre 13% de rendement tutoyant déjà les 30% de performance pour le 1er semestre.

Les investisseurs se sont rués massivement vers les valeurs bancaires qui ont pour la plupart affiché des indicateurs en forte croissance souvent supérieurs à 20% et surtout des résultats record. Avec la nette remontée des taux amorcée depuis les premiers mois de l’année, les anticipations étaient des plus positives pour les titres bancaires dont les cours se sont emballés fortement au point d’atteindre un pic de rendement de 44% au 31 Août. Mais cet état de grâce allait vite s’interrompre au début du mois de Septembre avec la réapparition sur la scène d’opinions et d’avis de certains observateurs qui ont alerté sur le niveau très bas de liquidité de certaines banques et leur non-conformité avec les nouvelles règles prudentielles annoncés des mois auparavant. Ces règles visent à mieux encadrer les activités des banques en dehors de leurs cœurs de métier et particulièrement une meilleure adéquation entre les emplois et les ressources. Les investisseurs venaient de se rendre compte que le manque de liquidités au niveau des banques, dont ils avaient déjà connaissance, devenait préoccupant et que la croissance des revenus des banques pouvait être freinée par ces nouvelles dispositions. Le sentiment à l’égard des valeurs bancaires allait être totalement refroidi par ce coup de semonce réglementaire et induire une violente vague de vente. Les prises massives de bénéfices et les cessions importantes de gros actionnaires allaient provoquer une chute sans précédent de l’indice bancaire qui allait perdre 24% en 4 mois. A la date du 25 Décembre, l’indice bancaire ne gagnait plus que 5,3% avec plusieurs titres bancaires qui étaient désormais en territoire négatif.

En définitive, avec cette année finalement presque blanche pour les banques (50% de l’indice), le rendement de l’année provient surtout de l’excellente performance du titre phare du marché la SFBT (19,2% de l’indice à lui tout seul) qui à la faveur d’un important ramassage de titres par un grand groupe tunisien a fait preuve d’une grande fermeté et a continué à afficher un rendement de 46% et une capitalisation historique record proche des 4 Milliards de Dinars.

Les volumes sur le compartiment actions de la Cote ont augmenté de 32% au 25 Décembre mais reflètent surtout l’inflation des prix pendant la hausse des 8 premiers mois de l’année et un grand nombre d’opérations de bloc sur les poids lourds du marché comme la SFBT et la BIAT. En dehors des phases de hausse de marché et de la substantielle amélioration de la liquidité qu’elle engendre, le retour à la normale c'est-à-dire la fin de la dynamique haussière et souvent le glissement ultérieur des prix qui en résulte crée toujours un rétrécissement de la liquidité et une source de stress important pour les gestionnaires de portefeuille. Toutes les bonnes statistiques sur les volumes (qui pourraient se détériorer en cas de non reconduction des grosses opérations de bloc du 31/12) ne doivent pas occulter la persistance d’un gros problème de liquidité sur la Bourse de Tunis. Cette question de liquidité a été d’ailleurs une des questions clé de la physionomie du marché des capitaux dans sa globalité avec de gros besoins des établissements bancaires pour des ressources monétaires. Ceci a crée de grosses tensions sur le marché monétaire avec une envolée sans précédent des taux de rémunération des certificats de dépôt qui ont dépassé allégrement les 12%. Cette hausse des taux a provoqué un important effet d’éviction des placements actions au profit des placements monétaires souvent à moins d’un an bien plus rémunérateurs y compris des emprunts obligataires. En dépit de tous les calculs savants et autres modèles mathématiques, la courbe de taux est bel et bien inversée avec des taux à 3 mois largement supérieurs aux taux à 5 et 10 ans (de 200 à 300 points de base). Ces perturbations sur le marché monétaire ont provoqué une certaine contraction des marges d’intermédiation des établissements de crédit et surtout un affaiblissement du marché obligataire dont les émissions ont de plus en plus de mal à être cloturées. Les OPCVM obligataires sont de plus en plus des victimes collatérales de ces soubresauts monétaires avec des arbitrages de plus en plus défavorables.

Parmi les autres faits marquants de l’année 2018, on peut citer la faiblesse du compartiment des offres publiques de vente avec une seule introduction celle de Tunisie Valeurs alors que l’autre pressentie celle de l’aciériste Sidenor a été annulée faute d’appétit pour l’opération et le risque d’un arbitrage en faveur des placements monétaires. Les anticipations optimistes pour l’enrichissement de la cote sont chaque année démenties par une conjoncture pas très favorable et des difficultés croissantes à lever les capitaux nécessaires.

L’autre fait marquant est l’échec de la cession du bloc majoritaire de Carthage Cement, un des tires phares du marché par sa large diffusion auprès des petits porteurs, et dont le long processus minutieusement conduit par El Karama et ses conseillers n’a finalement pas abouti à l’obtention d’une offre de reprise par un investisseur stratégique.

Il faut également souligner dans le compartiment du marché alternatif  la grande détérioration financière de plusieurs sociétés cotées (Servicom, Aetech,CC….) dont les résultats ont été catastrophiques ce qui démontre bien à quel point ce compartiment certes risqué a été foncièrement mal calibré pour recevoir les candidats idoines. Ceci devrait donner à réfléchir à quelle est la meilleure des manières de financer directement les entreprises innovantes et non bancables à travers un processus plus intelligent qu’une simple production de business plan fruit d’hypothèses souvent fantaisistes.

L’année 2018 bien qu’étant une réussite relative sur le plan des statistiques suscite quand même une interrogation majeure sur l’efficience de la bourse dans le financement de l’économie. Ce rôle s’est largement érodé au fil du temps conséquence certes d’une transition démocratique au coût économique exorbitant mais aussi de raisons endogènes encore toujours pas solutionnées.

L’année 2019 ne semble pas se présenter sous les meilleurs auspices mais en Bourse les meilleures surprises arrivent quand se dégage justement une unanimité sur la nature de la tendance.

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