Les professionnels du marché entre enthousiasme et inquiétude devant la montée du rythme des nouvelles introductions.

Le marché connait depuis le début de l’année une vague sans précédent d’introductions en bourse. En l’espace de 4 mois, 4 nouvelles sociétés sont venues enrichir la cote et trois autres devraient les rejoindre d’ici la fin du mois de Mai. Selon les projections du Directeur Général de la bourse, une bonne dizaine d’autres entreprises seraient dans les starting blocks (avec au moins deux de grande taille).



Cette situation peut paraître très réjouissante pour un marché boursier qui a souffert d’une insuffisance criarde de titres comme en témoigne le nombre très insuffisant de valeurs cotés (58 à la fin 2012 contre 46 en 2002). En faisant un simple calcul, on aura plus d’entreprises introduites cette année que durant les dix dernières années.



Toutefois, cette accélération fulgurante du rythme des introductions divise les professionnels du marché. Pour certains, cette accélération de la cadence des introductions est véritablement le signal d’un vrai décollage de bourse de Tunis et un pas important vers une meilleure représentativité de la bourse. Pour d’autres, ce mouvement n’est pas sans susciter plusieurs inquiétudes qu’on peut résumer autour des aspects suivants :



1. Le contexte national du financement des entreprises :


L’une des conséquences économiques du 14 janvier 2011 sur le système bancaire principal bailleur des fonds des entreprises (avec une contribution moyenne de 90%) a été la forte contraction de la liquidité . Le resserrement du crédit qui en a résulté a fortement contrarié les schémas de financement des entreprises et les a poussées à chercher d’autres alternatives dans le financement. Dans un tel contexte, le recours aux financements equity (private equity ou ouverture du capital en bourse), s’imposait de lui-même.


Cette conjoncture subie par les émetteurs, qui explique en grande partie l’engouement pour la bourse, a suscité quelques réserves quant aux réelles motivations des candidats à l’introduction en bourse.


Faut-il rappeler à cet égard que l’introduction en bourse n’a jamais été une opération ponctuelle pour solutionner un besoin à court terme mais une aventure à long terme qui demande une vraie adhésion à toutes les contraintes qui s’y rattachent (transparence, gouvernance, etc.).


2. Les valorisations des sociétés nouvellement introduites : Le débat sur la valorisation des entreprises à introduire est un thème récurrent de controverse qui divise souvent les professionnels de la place. Ce qui est toutefois frappant dans les entreprises qui viennent d’être introduites, c’est que la valeur dépend essentiellement des projections d’avenir. Donc, rares sont celles qui se sont appuyées sur les approches patrimoniales, même pour celles qui ont un long vécu derrière elles ; Une aberration méthodologique de taille puisque dans un contexte économique national et international –de crise-, une décote circonstancielle s’impose proportionnellement à la fonction croissante d’aversion au risque. Beaucoup d’intervenants pensent qu’un optimisme démesuré dans l’avenir peut se révéler un exercice très risqué et comporte une probabilité non négligeable de nombreuses déconvenues à l’avenir. Comme arguments à cette critique, les experts avancent le très faible taux de réalisation des prévisions dans grand nombre de sociétés déjà cotées en bourse qui ont déjà péché par excès d’optimisme.


La crainte de voir ce scénario se répéter n’est pas sans susciter de grosses inquiétudes aux intervenants quant à de futures débâcles boursières de certaines sociétés fraichement cotées.

3. Le chevauchement et la superposition des OPV en cours :



La principale nouveauté des OPV de cette année, c’est qu’elles interviennent dans un laps de temps très court et souvent sans aucun planning préalablement étudié. En Avril, 3 OPV ont ouvert à des dates très proches les unes des autres et le scénario est en train de se reproduire au cours du mois de Mai avec une forte probabilité d’un scénario identique en Juin et d’autres mois de l’année.

Cette superposition d’OPV a eu des conséquences fâcheuses sur le marché central de bourse qui a déjà perdu 2,19 % en Avril, mais ce qui est plus inquiétant encore, c’est l’effet sur la liquidité qui a considérablement régressé au mois d’Avril et aux premiers jours de Mai (hors transactions de bloc) avec des séances anémiques peinant à dépasser les 2 millions de dinars.



Les arbitrages incessants, défavorables aux valeurs existantes commencent à ébranler la confiance des investisseurs minoritaires qui voient leurs patrimoines boursiers se contracter sans être compensés par les gains espérés sur les titres nouvellement introduits souvent dérisoires (en raison du faible taux d’allocation et aussi de gains plus faibles qu’espérés).



En définitive, la situation actuelle pose un problème fondamental du marché financier qui est celui de l’équilibre à trouver entre offre et demande. Nous avons connu pendant de longues années une rareté de l’offre et une abondance de la demande ce qui a résulté en de longues années de hausse boursière entre 2003 et 2010.


Le 14 Janvier 2011 est venu interrompre cette tendance et depuis le marché s’est installé dans un cycle baissier à cause surtout du ralentissement économique que connaît le pays depuis deux ans.
La majorité des experts reconnaissent actuellement que la demande à moyen et long terme sur le marché boursier a beaucoup baissé . Il est dés lors normal de s’interroger si cette vague d’OPV n’arrive pas finalement à un mauvais moment. Les introducteurs dans toutes les bourses du monde sont toujours confrontés à une grande interrogation : quel est le bon timing pour aller en bourse ?
Cette question, qui ne semble pas avoir été abordée avec tout l’intérêt qu’elle mérite, est pourtant cruciale dans la réussite des opérations en cours et dans l’accomplissement du rêve loin d’être chimérique d’une bourse plus présente dans le financement de l’économie.

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