La relance de la Bourse de Tunis en débat à la 6 ème Matinale d’Alumni IHEC Carthage

L'Association Alumni IHEC Carthage a organisé hier, 23 février, sa 6éme matinale avec le soutien de la fondation Friedrich Nauman, consacrée cette fois à l'avenir de la Bourse de Tunis, en présence du président du conseil d'administration de la BVMT, Khaled Zribi, du responsable de la communication au sein du CMF, Mr  Mehdi Ben Mustapha, ainsi que de Mr Ahmed Ben Jemaa Directeur Général de Smart Asset management. Les débats ont porté sur la relance de la place de Tunis, qui demeure encore handicapée par sa petite taille, la faiblesse de la liquidité, et la volonté politique défaillante depuis plusieurs années, un constat revenu plusieurs fois au cours de la rencontre.  Plusieurs petits porteurs ont également pris par à cette matinale, qui pour la plupart sont venus exprimer leur mécontentement.

 Prenant la parole, Khaled Zribi a mis l’accent sur la faible contribution de la Bourse de Tunis dans le financement de l’investissement, actuellement à 8%, un taux très bas comparé aux autres places de la région. La question de la représentation de certains secteurs, totalement absents de la cote, est aussi une anomalie pour le président du conseil, et qui rejoint la problématique de la liquidité et de la profondeur du marché, la bourse reste dominée par les valeurs financières à plus de 60%. Par ailleurs, Zribi a souligné le manque d’engagement de l’Etat à soutenir le développement du marché, notamment pour ce qui est des privatisations, ou à la mise en vente des sociétés confisquées. A ce sujet des efforts de lobbying sont menés pour que ces sociétés soient mises sur le marché et non pas cédées de gré à gré.  Pour Ahmed Ben Jemaa, le manque de volonté politique est un problème persistant depuis 15 où 20 ans, même s’il convient aujourd’hui de s’interroger sur la capacité du marché à absorber de grandes entreprises publiques et surtout, sur l’éligibilité de ces dernières pour une introduction en Bourse, sachant les difficultés par lesquelles plusieurs d’entre elles passent. Historiquement, l’Etat a certes réalisé de bonnes affaires financièrement en privatisant par voie d’appel d’offres, comme le cas de Tunisie Telecom, mais il aura raté l’occasion de contribuer au développement de la Bourse, explique Ahmed Ben Jemaa.     

Interrogé sur le rôle du CMF dans le développement de la Bourse, Mehdi Ben Mustapha, responsable communication, dit tout d'abord ne pas partager la sinistrose actuelle sur le marasme de la Bourse de Tunis, la situation étant selon lui beaucoup plus liée à la situation économique du pays mais aussi à la concurrence bancaire accrue, qui draine l'essentiel de l'épargne nationale vers les placements bancaires au détriment du marché boursier. Mehdi Ben Mustapha pointe aussi du doigt l’effet dissuasif de certaines introductions, notamment sur le marché alternatif, un marché difficile qui s’apparente à  du capital investissement et qui aurait du être présenté comme un marché d’institutionnels et ou bon nombres de petits porteurs se sont retrouvé en mauvaise posture. Pour ce qui est du rôle du CMF, Mehdi Ben Mustapha a expliqué, que l’institution n’entrait pas dans la gestion boursière mais veillait à la protection de l’épargne, en surveillant la régularité et la conformité des publications, sur ce point le CMF a choisi une démarche pédagogique et peu portée sur les sanctions en l’absence d’un arsenal juridique coercitif mais plutôt modulable en fonction des infractions. Il s’agit là d’un des axes de réforme de la loi 94, selon Ben Mustapha, qui dotera le CMF d’outils plus précis pour agir sur certaines situations, des mesures comme les astreintes journalières pour les retards de publications, ou encore la suspension directe…Le représentant du CMF a également profité de son intervention pour souligner ce qu’il considère comme de l’auto flagellation de la part de petits porteurs qui dénoncent certaines manipulations sur le marché, chose qui si elle était vérifiée, le marché n’aurait pas jusqu’à 25% de participation étrangère, a-t-il expliqué, il y a certes des problèmes mais il s’agit surtout d’une « polémique tuniso-tunisienne », la création d’un tribunal financier et les nouvelles disposition anti-délit d’initié viendront par ailleurs renforcer la protection des petits porteurs, selon Mehdi Ben Mustapha.

Le débat a ensuite porté sur la problématique de la valorisation, dont la responsabilité incombe tout d'abord à l'intermédiaire introducteur, explique Ahmed Ben Jemaa, le dossier est ensuite transféré à la Bourse de Tunis qui a fait le choix de ne pas lier l'éligibilité des sociétés à la valeur, l’intervention du CMF se limite ensuite au visa accordé au prospectus en tant que document financier, dans ces conditions, lorsqu’une société est surévaluée, la sanction (ne pas souscrire) est censée venir du marché, les OPV ont toutefois la réputation d’être des opérations très rentables qui attirent les investisseurs même dans les période les plus difficiles, comme en 2013, force est de constater qu’aujourd’hui les gens sont plus attentifs, la dernière introduction de SANIMED, prolongée de trois semaines et clôturée au forceps en témoigne, ajoute le DG de Smart Asset Management.

Pour compléter son diagnostic, Ahmed Ben Jemaa est revenu sur les trois facteurs clés, que sont la taille, la liquidité et la gouvernance, trois points sur lesquels beaucoup de travail reste à faire. Concernant la taille, principal élément d’attractivité auprès des investisseurs institutionnels qui se trouve être la catégorie la plus importante sur le marché, la Bourse de Tunis reste loin derrières les places voisines, avec une capitalisation boursière qui avoisine les 20% du PIB.  Hormis quelques mastodontes qui affichent une capitalisation boursière importante, la Bourse de Tunis compte plusieurs sociétés de toute petite taille, une situation que certains lient au tissu économique tunisien, principalement dominé par la PME. En ce sens, le choix de démocratiser la bourse, a manqué de stratégie estime Ahmed Ben Jemaa, la Bourse étant destinée avant tout à l’élite des sociétés, qui peuvent répondre à des impératifs de santé financière, capacité bénéficiaire de bonne gouvernance. La question de la liquidité constitue par ailleurs la plus grande défaillance sur le marché tunisien, aux yeux de Ahmed Ben Jemaa, le marché secondaire reste en effet très peu dynamique et est fortement pénalisé par un effet d’éviction du marché primaire qui absorbe une grande partie de l’épargne disponible. Cette situation est très visible sur le marché obligataire à titre d’exemple où le marché primaire attire beaucoup plus de capitaux que le marché secondaire. En conséquence, la Bourse de Tunis affiche un des taux de rotation des plus faibles de la région, de l’ordre de 10% contre 30% en Egypte par exemple voire jusqu’à 50% sur d’autres places. Un autre élément significatif est la faible atomicité du marché avec un nombre très faible de transactions annuelles de l’ordre de 400.000. Rapporté en moyenne quotidienne par valeur, cela donne environ 15 transactions/jour soit une transaction toute les 15 minutes, alors que sur les marché développés les statistiques sont sur des échelles de microsecondes…le problème de la liquidité est en définitive lié à l’absence d’investisseurs institutionnels, de grandes sociétés ou de produits financiers récurrents …

Dans son aspect qualitatif, la Bourse de Tunis présente aussi un problème de gouvernance selon Ahmed Ben Jemaa,  étant exclusivement contrôlée par les intermédiaires en Bourse et gardant son caractère corporatiste, alors qu’il serait temps de la démutualiser comme l’a fait le Maroc depuis quelques mois, et d’autre places financières bien avant. Le CMF aussi présente un défaut de gouvernance, ayant comme principal acteur un collège à forte composante de juges et de juristes, qui pour la plupart du temps ne disposent pas d’un vécu suffisant des rouages du marché financier…Par ailleurs, Ahmed Ben Jemaa a déploré la faiblesse de la culture boursière chez la société tunisienne, même si la BVMT fait depuis un moment des efforts pour rattraper le retard dans ce sens.

 

 

 

 

 

 

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