La prochaine sortie de la Tunisie sur les marchés internationaux pour 4,6 milliards de dinars fait débat

Slim Chaker, ministre des finances, a annoncé en marge de la réunion de la Commission commune de la transparence financière et de la gouvernance ouverte, une nouvelle sortie de la Tunisie sur les marchés internationaux, pour la levée de 4,6 milliards de dinars et qui fera l'objet d'une réunion avec le gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie, Chedly Ayari, dans les jours à venir. L'émission Ecomag sur Express Fm est revenue sur cette annonce, hier 25 janvier, en présence de Radhi Meddeb, économiste et président de l'association Action et développement solidaire, l'expert Chokri Mamoghli, et l'ancienne secrétaire d'Etat et universitaire, Boutheina Ben Yaghlen.

Pour Radhi Meddeb, il s'agit là une nouvelle fois d’une solution de facilité,  alors que les fameuses réformes structurelles douloureuses mais nécessaires dont il a été question auparavant se font toujours attendre. La situation est d’autant plus compliquée que les 2,6% de croissance sur lesquels se basent le Budget de l’Etat 2016, apparaissent comme un objectif hypothétique, ajoute Meddeb, le déficit pourrait donc se creuser davantage, a-t-il ajouté.

Chokri Mamoghli a quant lui rappelé que le déficit dépassait les 4,6 Milliards et que 2 milliards de dinars supplémentaires seront contractés sur le marché domestique, tout en s'interrogeant sur certaines mesures du Budget comme la baisse de 20% des dépenses de gestion qui risque de pousser les institutions publiques concernées à recourir à leur tour à l'endettement, c'est donc en quelques sorte un déficit supplémentaire non déclaré qui sera financé par le système bancaire. Dans une telle configuration, l'Etat est confronté à deux choix, soit réduire les dépenses ou alors augmenter les recettes notamment en accentuant la pression fiscale, deux cas de figures qui ont un coût élevé notamment sur le plan social et politique. La Tunisie est sensée se trouver dans une période de stabilité politique pour au moins 5 ans, a-t-il rappelé, la priorité devrait incontestablement être donnée à l'investissement et à la mise en place d’un environnement propice au secteur privé pour investir davantage en vue de réduire le chômage, les autre mesures circonstancielles comme le mécanisme 16 et autres ne sont que des solutions bureaucratiques à court terme et dont la portée est limitée. 

Chokri Mamoghli a rappelé que dans les zones concernées par les dernières contestations sociales, des projets pour un milliard de dinars sont bloqués pour des raisons administratives et notamment d’ordre foncier, alors que les fonds qui leurs sont alloués sont disponibles. L’expert a aussi déploré que le code unique d’investissement soit encore à la traine, alors qu’il est en préparation depuis 2012, ce qui est conjugué aux problèmes sécuritaires, pousse les investisseurs à encore plus d’attentisme.

Dans ce contexte, la Tunisie devrait s’endetter dans des conditions encore plus douloureuses que lors des dernières fois, assure l’expert, en raison de la détérioration de sa notation,  un taux qui pourrait atteindre 6 à 6,5%, auquel il faudra ajouter la dépréciation du dinar. Radhi Meddeb calcule que cette nouvelle sortie poussera le niveau de l’endettement de la Tunisie a près de 60% du PIB, qui est un taux communément admis comme un seuil dangereux.

Il est aujourd’hui impératif de réduire le déficit budgétaire de la Tunisie, estime Chokri Mamoghli, non pas à 3%, qui est l’objectif actuel, mais à 1,5 voire 1%, seule configuration qui permettrait à la Tunisie de sortir de la spirale de l’endettement. Pour cela l’issue évidente est de revenir à un rythme de croissance de 4,5 à 5%, selon lui pour booster les recettes de l’Etat. Parallèlement, la maitrise des dépenses devient une urgence qui passera, selon Mamoghli, par la réduction de la masse salariale dans le secteur public, par le non renouvellement de postes après les départs à la retraite, les 650 000 employés du public représentant trois fois les besoins du pays, a-t-il indiqué, reprenant les propos du premier ministre. 

Boutheina Ben Yaghlen est revenue pour sa part sur la dernière sortie de la Tunisie sur le marché obligataire en janvier 2015, avec un taux d’intérêt de 5,7%, expliquant qu’il s’agissait d’une sortie sans garantie, ce qui explique son coût élevé, alors que la Tunisie avait pour habitude de s’endetter sous garantie américaine ou japonaise à des taux inférieurs à 4%. L’ancienne secrétaire d’Etat a insisté sur la nécessité d’obtenir des garanties pour la prochaine sortie afin de ne pas subir les mêmes conditions que l’année dernière, le ministre des finances a d’ailleurs indiqué que la Tunisie œuvrait à obtenir la garantie américaine à cet effet, a-t-elle rappelé. Et Chokri Mamoghli de rappeler qu'aucune garantie n'est gratuite, et que le cas échéant une garantie américaine aurait certainement une contrepartie d'ordre politique. Pour Boutheina Ben Yaghlane, le point crucial est celui de l’utilisation des ressources provenant de l’endettement et jusqu’à quelle point ses fonds seront alloués aux projets de développement, se félicitant de l'adoption de la nouvelle loi organique du budget par le conseil des ministres, relative à la gestion budgétaire par objectifs (GBO), ceci est de nature à améliorer l’affectation des ressources.

Pour conclure, Radhi Meddeb a estimé que l’endettement n’était pas une fatalité et qu’il existe une alternative qui consiste essentiellement à la lute contre l’évasion fiscale, selon lui le véritable gisement des ressources de l’Etat. 

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