Table ronde à l'IACE : La Tunisie et les pays voisins, Une intégration économique plus que nécessaire

Dans le cadre de la 7éme édition du Tunis Forum, le siège de l’IACE a accueilli une table ronde, le 26 juin, consacrée à la question de l’intégration économique entre la Tunisie et les pays voisins, et intitulée « Stabilité et convergence ». Trois panels se sont succédés pour discuter des pistes de réflexion pour dynamiser les échanges entre la Tunisie, engagée dans un processus de transition démocratique, l’Algérie, qui connait une vague de revendications politiques depuis plusieurs mois, la Libye, en proie à la recrudescence des violences, ainsi que le Maroc, et la région de l’Afrique du Nord en général, une zone qui compte 14% de la population africaine, mais seulement 5% des échanges commerciaux dans le continent. Tous les intervenants se sont accordé à dire que la région a un besoin urgent en matière de rapprochement économique pour libérer pleinement son potentiel et confronter la concurrence internationale.

Tour à tour, des personnalités de chaque pays ont présenté le constat général et les évolutions sur les dernières années, à commencer par Mostefa Bouchachi, ancien député à l’assemblée nationale populaire en Algérie. Bouchachi est revenu sur les mouvements récents en faveur d’un changement politique dans son pays, pour mettre fin à l’hégémonie du pouvoir et ses proches, dans un pays qui regorge de richesses, propos, rejoints par Saddek Fenardji, membre du think tank Nabni. Ce dernier a décrit l’économie algérienne  comme une fausse économie de marché, une économie très administrée qui suit un modèle rentier et non inclusif dans les faits, discriminant le secteur privé et reposant principalement sur les recettes des hydrocarbures, dont la chute des cours a ébranlé l’économie. Les dernières années ont été marquées par la saignée des réserves de changes, l’aggravation du déficit avec des dépenses publiques toujours élevées, pour des raisons entre autres électorales, a souligné Fenardji. Un déficit comblé via la planche à billets, malgré la capacité d’endettement du pays qui lui donne une marge de manœuvre assez confortable. Le régime a toutefois diabolisé le financement extérieur. Le danger sera à terme de procéder à un réajustement brutal du taux de change et un éventuel recours au FMI. Pour ce qui est des échanges extérieurs, l’économie algérienne est marquée par l’instabilité réglementaire, et les mesure restrictives, telles que les limitations des importations, et la règle 51-49 qui ont fortement réduit l’attractivité du pays.

Pour le Think Tank, il est aujourd’hui impératif de coupler la « pré-transition » politique en cours, avec une transition économique, et ne pas se limiter à la gestion des affaires courantes. Il s’agira surtout de rétablir la confiance, en stabilisant la réglementation, et en renforçant la transparence.   Fenardji a fait remarquer que les déficits des entreprises publiques en Algérie sont inconnus et inaccessibles au public. Un travail de pédagogie est aussi nécessaire pour expliquer à la population les sacrifices et le rythme des réformes. Parmi les chantiers, la modernisation du système bancaire « archaïque » et la lourdeur administrative, qui a créé des guichets à corruption. Nabni prône également de combattre les niches fiscales favorables aux « amis du pouvoir » et de réduire drastiquement ou pour le moins de rationaliser le subventionnement, via un ciblage progressif, par exemple. L’économie algérienne a besoin, comme ses voisines, d’un marché régional, et d’une ouverture pour devenir une véritable économie de marché. Le think tank souligne l’importance d’un partenariat d’exception avec la Tunisie, ce qui n’a pas pu être opéré au niveau de l’UMA, et de créer de véritables économies interdépendantes ; l’état actuelle des choses est une aberration selon Fenardji, en référence aux économies de la région, les moins intégrées du monde dans une zone pourtant parmi les plus homogènes. Les relations économiques fortes permettront par ailleurs aux pays de la région d’aborder la coopération sud-sud qui est une opportunité historiques, face à des géants comme le Nigéria et l’Afrique du Sud.

De son coté, le président du conseil libyen des hommes d’affaires, Bachir Trabelsi, est revenu sur l’évolution de l’économie libyenne, qui est passée d’un modèle faussement socialiste et très défavorable au secteur privé, avec un système bancaire dont le rôle s’est limité au stockage de liquidité. L’image du pays prospère  que renvoie la Libye provient essentiellement des actions entreprises pour protéger le régime, alors que l’économie était balafrée et régie selon des conceptions non scientifiques. Les échanges commerciaux entre la Tunisie et la Libye ont connu un véritable boom, dominé toutefois par le commerce parallèle entre les villes frontalière, et sur le quel les régimes des deux pays ont fermé les yeux. La Tunisie a longtemps profité des faiblesses libyennes, notamment matière de santé. Bachir Trabelsi, recommande plus de complémentarité entre les autorités, particulièrement en matière de  surveillance des frontières et de lutte contre l’économie souterraine. Il convient dans ce cadre d’engager des efforts de développement dans les régions limitrophes, et d’étudier en profondeur tous les aspects à même de propulser les relations économiques vers une union fructueuse. La Libye de son coté doit reconstruire, pour ne pas dire construire ses institutions, et donner au privé, longtemps asphyxié, son rôle de locomotive, avis partagé par le directeur exécutif du conseil, Brahim Asugheir.

La parole a été par la suite donnée à Abdourahmane Diaw, en charge de la région Afrique du Nord au sein de la BAD, qui a mis l’accent sur la croissance faible, notamment en Tunisie, et le modèle économique dépassé. La Tunisie doit monter dans la chaine de valeurs, selon Diaw, qui cite l’exemple de l’huile d’olive, dont la valeur ajoutée est captée en dehors de la Tunisie, pourtant parmi les plus grands producteurs au monde. Les pays de la région doivent impérativement renforcer l’intégration régionale, avec comme véhicule principal le secteur privé ; il faudra, entre autres, identifier les projets intégrateurs pour profiter des corridors importants entre les pays, et harmoniser les appuis à l’entreprenariat et aux écosystèmes propices pour endiguer le chômage des jeunes.

L’exemple le plus concret est venu de Amine Ben Ayed, Directeur Général de la société MISFAT, qui a rappelé que les économies des pays du Maghreb étaient déjà faiblement intégrées avant les mouvements de 2011, mais la Libye et l’Algérie étaient parmi les premières destinations à l’export pour la société, qui aujourd’hui, fait beaucoup plus avec le Chili et la  Biélorussie qu’avec l’Algérie, et beaucoup plus avec le Pérou est les Comores qu’avec la Libye, selon ses propos.

Le dernier panel, modéré par Ahmad El Karam, a été l’occasion pour le gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie,  Marouane Elabassi, de présenter sa vision de la thématique. El Abassi a identifié plusieurs axes de travail pour renforcer le business entre les entreprises maghrébines, l’inclusion financière, notamment via les Fintech, le financement alternatif, etc. Il a souligné l’importance du travail conjoint pour renforcer les courants d’échanges entre les pays du Maghreb, qui sont une continuité naturelle des marchés locaux respectifs. Tout n’est pas noir pour le gouverneur de la BCT, qui s’est félicité, entre autres, du fonctionnement de l’économie libyenne, malgré le contexte compliqué. La Libye produit aujourd’hui 1 million de baril de pétrole par jour. Les liens avec l’extérieur ont repris de la vigueur, comme en témoigne le trafic aérien très actif avec la Tunisie, et l’intérêt grandissant des pays du nord pour le pays voisin.  Pour El Abassi, l’espace économique commun est très mal exploité par les pays de la région, qui ont besoin de revoir et rapprocher leurs politiques de gestion des risques, renforcer la diplomatie économique pour identifier les gisements et rendre les flux visibles plus dans l’économie réelle que dans l’informel, renforcé par les distorsion créées par les efforts de subventionnement à titre d’exemple, et qu’il faudra définitivement bannir tôt ou tard.

 

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