Le marasme de la Bourse de Tunis, entre l’activisme des Petits Porteurs et l’immobilisme des investisseurs Institutionnels

La bourse de Tunis réalise des volumes minuscules depuis plusieurs séances après un démarrage dans le vert qui augurait d’une belle dynamique. Les raisons derrière cette chute de l’activité est, parait-il, le mécontentement des petits porteurs ; Ces intervenants qui pèsent pour prés de  40% dans la bourse -d’après l’association ADAM, qui reste la plus représentative parmi les trois associations existantes-, semblent avoir un poids de plus en plus prépondérant dans les volumes quotidiens. Il faut savoir que beaucoup de petits porteurs interviennent sur la bourse en mode de gestion libre. Peu d’entre eux confient leur argent à des professionnels de la gestion. Les plus fortunés préfèrent la gestion assistée ou conseillée mais gardent la main libre sur une bonne partie de leur portefeuille.  « Les Petits Porteurs » tunisiens sont entrés donc en grève pour exprimer leur désarroi. Beaucoup l’ont fait savoir sur les divers forums boursiers et à travers les médias sociaux et radiophoniques. Les négociateurs en bourse ont, du coup, vu leur carnet d’ordre se désemplir au fil des séances et les commissions d’intermédiation chuter brutalement. La bourse s’en trouve également affectée par ce mouvement volontaire de désintérêt provisoire. Par ailleurs, aucune autre force  existence sur le marché n’a pu contrebalancer ce « stand-by ». Il ne faut pas s’étonner qu’aucun institutionnel n’en puisse aider à raviver ce marché tombé soudainement en léthargie. A commencer par les fonds communs de placements. 

Ces véhicules qui emploient sous d’autres cieux jusqu’à 49% de leurs actifs en actions  pour les fonds de pension dans les pays de l’OCDE, se contentent chez nous d’un pourcentage d’à peine 7% consacré aux actions contre 67% pour des produits de taux quasi-illiquides et presque invendables dans des conditions de marché normales. Certains OCVM mixtes n’ont de mixte que le nom. L’une des plus importantes SICAV mixtes de la place affiche un ratio d’emploi en actions de 0,03% pour un actif géré au 31 12 2015 de  46,7 Millions de DT. Le deuxième plus important FCP mixte du pays n’emploie que 16,7% en actions pour un actif net géré de 61 Millions de DT. Avec de tels ratios, les fonds gérés ne peuvent se prévaloir d’un poids imposant dans les transactions boursières. N’eut été l’effort louable de la Caisse des Dépôts et Consignations et de la CTKD, qui essaient d’agir en tant que fonds de fonds sur le marché financier, leur participation aurait été à des niveaux encore plus bas. L’industrie tunisienne des OPCVM qui compte 126 organismes pour des actifs sous gestion de 4687 MDT fin janvier 2017 ne compte que 4 OPCVM Actions dont un en liquidation. Les trois restants gèrent un actif de 16,6 MDT seulement,  soit à peine 0,35% des Actifs sous gestion, dont 11 MDT reviennent à un seul fonds. Comment peut-on développer un marché action avec seulement 16 MDT gérés par des fonds purement actions ? L’expérience internationale a montré que les fonds 100% actions sont parmi les plus performants sur des horizons d’investissement dépassant 5 voire 10 ans. Les fonds indiciels sortent du lot et deviennent la classe d’actifs privilégiée des gestionnaires d’actifs des caisses d’épargne, des caisses de retraites et des assureurs vie. Mais on n’en est pas là pour nos deux principales Caisses de retraites en l’occurrence la CNSS et la CNRPS, qui ont raté la dernière décade qui a vu le Tunindex passer de son niveau de départ de 1000 points à 5113 points fin 2010, soit un rendement annuel moyen de 16% par an. Il s’agit là d’une vision stratégique à l’échelle macro du pays qui aurait du être imaginée par les responsables économiques et politiques de l’époque pour trouver une solution à la problématique de l’épuisement du régime de retraites par répartition. Le Chili l’a compris il y a plus de 30 ans et a bien réussi l’instauration d’un régime complémentaire par capitalisation  au grand bonheur des ses retraités. 

Ainsi, les problèmes de la gestion collective en Tunisie ne résident pas uniquement dans la faible part de l’épargne investie en Actions. Au-delà de cet aspect structurel dont on avançait souvent comme explications le manque de profondeur du marché, la qualité de l’offre etc, il y a la cascade de dissolution des FCP en raison de l’absence de vrais catalyseurs qui permettent des économies d’échelles. La survie de ces structures devient incertaine en raison du faible engouement des souscripteurs individuels et institutionnels. Il est désormais difficile pour un fonds mixte d’atteindre une taille optimale et de mobiliser une épargne suffisante. A la date d’aujourd’hui, on a relevé 10 fonds qui sont en cours de dissolution dont certains ont attient leur échéance (3). Tous des fonds mixtes et aucun fond obligataire. Le taux de disparition dans notre industrie dépasse ainsi les  7% contre 3% par exemple aux Etats Unis, dû essentiellement aux mauvais résultats et la persistance d’une performance négative dans un univers hautement plus concurrentiel qu’en Tunisie.

La gestion d’un fonds nécessite des coûts de transactions, d’analyse et de gestion assez contraignants pour pouvoir réaliser un rendement en ligne avec le marché et des coûts supplémentaires pour délivrer une performance supérieure à l’indice de référence. Nos intermédiaires en bourse préfèrent les véhicules obligataires dont la taille reste un gage de sécurité et dont la gestion nécessite moins d’effort, et cela, bien entendu, compte non tenu de leur sous-jacent qui n’en est pas moins risqué que les titres de capital. Outre les contraintes de gestion technique et réglementaire qui découlent du respect des ratios prudentiels, s’ajoute celle à caractère fiscal. Récemment, beaucoup de gestionnaires ont demandé le changement du mode de distribution des résultats de leur OPCVM pour éviter toute pression fiscale additionnelle qui vient s’ajouter à l’impôt libératoire de 20% retenu sur les intérêts servis. Le secteur vient à peine d’inverser la tendance qu’il a subit entre 2010 et 2014 avec une décollecte nette (baisse des actifs gérés) de l’ordre de -10,2%, l’équivalent de 519 Millions de DT. L’effritement de l’épargne mobilisée dans les OPCVM a été accompagné par la baisse des rendements boursiers du marché actions. Seule la hausse des taux de sortie de l’Etat et des entreprises publiques a pu donner un nouvel élan à l’industrie.  Les autorités ont heureusement maintenu la retenue à la source sur les dividendes à 5% après avoir proposé de la relever à 10% dans la nouvelle loi des finances 2017. Le rendement fiscal de cette mesure serait de quelques millions de DT additionnels pour un effet dévastateur sur la propension à épargner.

Pour l’anecdote, il y a une poignée d’investisseurs individuels sur la bourse de Tunis qui pourraient très bien se vanter d’avoir engagé des fonds supérieurs à celles de 38  FCP mixtes de la place dont l’actif net ne dépasse pas individuellement 1 Million de DT.

Il incombe aux gestionnaire et régulateur du marché, au dépositaire central, au législateur fiscal et à tous les intervenants de la sphère financière, y compris les petits porteurs à travers leurs associations, les institutionnels par le biais de leurs associations professionnelles de se concerter pour trouver des solutions à toutes ces problématiques afin d’encourager le placement sur les marchés financiers. Le surendettement des agents économiques a atteint un tel niveau que seule la mise en confiance des apporteurs de capitaux peut corriger. Le phonème de liquidation des FCP mixtes reste alarmant et très contagieux. Les derniers aménagements dans le code des avantages fiscaux font craindre une contagion qui peut toucher les fonds de capital investissement, le seul segment encore vivace en Tunisie.

Pour finir, nous énumérons certains  Catalyseurs qui pourraient donner un nouvel élan à la bourse de Tunis d’ici 2020 :

-  Stabilisation du contexte macro-économique, politique et social et réalisation des objectifs de la note d’orientation du plan stratégique de développement 2016-2020

- Amélioration de la qualité des sociétés admises (taille, situation financière, perspectives etc)

-  Renforcement de la Protection des petits porteurs (légiférer le recours collectif en cas de transactions abusives avec les parties liées, d’actes de gestion malveillants etc; information du public des transactions boursières par les personnes initiées, essentiellement actionnaires majoritaires, dirigeants et administrateurs etc)

-  Rapprochement entre Intermédiaires en Bourse et Banques pour la création de structures à fortes économies d’échelle : Banque privée (département wealth management, Asset Management etc), séparation avec le brokerage classique (trading), démocratisation de la distribution, adoption de l’architecture ouverte vers une multidistribution des OPCVM

-  Développement de la multi-gestion : diversité de styles de gestion avec le foisonnement de sociétés de gestion et la spécialisation des gérants, apparition de nouveaux prestataires de services financiers en relation avec l’AM (distributeurs en ligne, services BO, conseillers etc)

-  Intégration de l’argent de l’évasion fiscale dans des supports de placements mobiliers à long terme et durcissement des mesures fiscales contre la spéculation immobilière 

- Retour des investissements étrangers en portefeuilles et rationalisation du régime fiscal applicable aux non résidents en fonction de l’évolution de certains paramètres macro-économiques comme la parité de change

-  Emergence de la gestion de fortune et de la gestion de patrimoine (Multiplier les réseaux alternatifs aux banques, assurances et IB vers la création de nouveaux métiers indépendants comme les conseillers en gestion de patrimoine, les conseillers en Investissement Financier, les conseillers en placement etc)

-  Ouverture sur les marchés étrangers et internationalisation de la place de Tunis

-  Diversification des produits (extension aux actifs dérivés, actifs alternatifs) et animation du marché secondaire obligataire (SVT, Market makers )

-  Développement de l’assurance-vie, l’épargne salariale et la promotion des régimes de retraite par capitalisation (l’épargne retraite individuelle, complémentaire… etc)

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