Crise du bassin minier: Les solutions existent. (Par Habib Karaouli ).

 

 

" Quand on s'indigne, il convient de se demander si l'on est digne" Abbé Pierre

Un contexte tendu et des tensions exacerbées

La situation de quasi blocage de toute activité de production dans les principaux sites miniers a trop duré. En l'état actuel des choses,elle risque de s'éterniser compromettant par la même toute perspective de sortie de crise ou du moins générant un surcoût difficilement supportable pour la population, les employés, l’entreprise et le secteur. A voir la manière dont les pouvoirs publics s'y prennent pour la résoudre, cette crise va non seulement continuer mais s'amplifier. Ce qu'est en train de faire ou plutôt de ne pas faire le gouvernement le décrédibilise et réduit sa capacité à être un partenaire impartial et fiable pour les autres parties. Faire mine de croire que la solution est régionale et s’empresser de se défausser sur les responsables régionaux en leur faisant porter la responsabilité du blocage ne trompe personne. C’est une question nationale qui doit être traitée à l’échelle centrale en faisant la pédagogie nécessaire auprès de l’opinion publique sur la communauté d’intérêt de tous. Un gouvernement ne se grandit pas en se défaussant sur ses propres agents. Il ne fait, tout au plus, que les fragiliser et les déqualifieraux yeux descitoyens en se privant par là même d’exécutants loyaux.

S’est-on réellement occupé du sujet ?

La réponse est malheureusement non. Tous les gouvernements post-révolution ont une responsabilité directe dans cette situation : Incapacité d'apprécier les enjeux locaux, manque de vision industrielle et managériale dans le cadre de la filière, déficit d'imagination, enfermement dans un paradigme colonial d'exploitation de la richesse minière, irrésolution et perte de tout crédit voire de légitimité. Le tout est sur le fond d’une succession ininterrompue de promesses non tenues, de dérobades, de faux fuyants, et pour boucler la boucle, des tentatives de culpabiliser voire de démoniser tout un pan de la population tunisienne. On a tenté de lui faire porter la responsabilité des errements coupables et de l'absence de toute stratégie de sortie de crise qui tienne compte à la fois des intérêts et demandes légitimes d'un emploi décent et d’un mieux vivre de la population mais en même temps des conditions du maintien, du développementet de la diversification de cette activité. Il est temps de préparer l’après phosphate. C’est la question clé.

Rétablir la confiance au plus vite

Voilà une population meurtrie, déclassée, qui s'estime exclue, baignant dans une culture de l'échec et de la désespérance. Victime du syndrome hollandais, de cette malédiction des ressources naturelles. Vivant dans un cadre de vie minéral fortement dégradé qui estime avoir chèrement payé le développement de cette industrie par la destruction d'un patrimoine universel notamment oasien : celui de Gafsa, d’El Guetar et de Gabès, par l’assèchement de toute la nappe due à l’utilisation intensive et abusive de l'eau pour les laveries de phosphate, par l'apparition et le développement de pathologies nouvelles liées à l'industrie chimique et dont les autorités sanitaires font peu de cas,etc.

Qui plus est, et c'est à mon sens le plus grave et constitue une faute politique majeure, elle s’estime flouée. Tant de promesses, parfois si modestes, non tenues. Tant d’engagements reniés. Tant de déshonneurs. Une promesse non tenue, c'est un espoir déçu et une confiance perdue. Voudrait-on les désespérer et les rejeter vers les extrêmes et autres aventuriers, qu’on ne s’y prendrait pas autrement ?C’est un enjeu national et il y va de l’unité nationale. Comment voulez-vous dialoguer sereinement et en confiance après cela ?

Sortir du paradigme d'exploitation coloniale

Si un problème nous résiste trop longtemps, c’est que son énoncé est faux. On s’est trop focalisé sur une approche macroéconomique globale en termes de contribution du secteur phosphates et dérivés à la formation du produit national, à l’export, aux recettes en devises et par un glissement mécanique à croire et faire croire que tous les problèmes de l'économie tunisienne seront résolus par la reprise de la production du phosphate. CQFD. C'est une mystification dangereuse qui cache mal, encore une fois, l'incapacité avérée des pouvoirs publics à sortir du paradigme qui prévaut depuis le protectorat.

D’abord, l’approche adéquate consisterait à aborder le sujet sous l'angle de l’entreprise CPG/GCT et de sa viabilité, sa performance et surtout de sa responsabilité sociale en tant qu’entreprise citoyenne notamment en termes de satellisation de PME/PMI/TPE autour d’elle pour proposer des emplois décents dans un environnement viable.

Concomitamment, proposer des perspectives post-phosphates qui préparent l’avenir des jeunes notamment encore en scolarité et qui puisse rassurer les habitants sur leur survie s’agissant de la dégradation irréversible de leur environnement.

Il faut une réponse d’ensemble qui couvre toute la chaîne de création de valeur   De l’extraction, au traitement, à la transformation et à l'écoulement.  Il s'agit de générer un plan stratégique opérationnel pour toute la filière phosphates et dérivés et couvrir l'ensemble des sites de production, de transformation, d'acheminement et d'exportation. Cela veut dire que la solution doit être globale et concerner les gouvernorats de Gafsa, Gabés et Sfax.

De la retenue en toutes choses

J'entends ici et là des âmes charitables pousser des cris d'orfraie sur la situation qui prévaut au bassin minier, pousser à l'affrontement, préconiser et adopter des postures  martiales, faire de la surenchère patriotique et ostraciser toute une population comme si cela résoudrait le problème par enchantement. Cela révèle malheureusement, outre l'expression typique des incapables qui font toujours porter la responsabilité de leur situation sur les autres, de faire une fixation sur des éléments mineurs pour cacher leur incapacité à générer des solutions nouvelles, les moins inégalitaires possible, et qui répondent aux attentes de tous les acteurs. C'est pathétique et potentiellement conflictogéne. Est-ce le but ? Pousser les gens au désespoir et venir par la suite leur reprocher d'utiliser les armes du désespoir ? Qui y gagnera ? Surement pas la Tunisie. L’enjeu est si important qu’il faut tout faire pour éviter de le chahuter par des apprentis sorciers et des va t-en guerre ou monter l’opinion publique à partir d’amalgames et de raccourcis suspects. Abyssusabyssuminvocat [L'abime appelle l’abîme].

Agissons ensemble

Il n’est pas trop tard. Bien au contraire, c’est en temps de crise qu’on fait les réformes les plus durables. Transformons cette menace en opportunité pour engager un débat serein et responsable. C’est ensemble sur la base des demandes et autres exigences bien comprises des uns et des autres que l’on arrivera à des solutions viables. Eviter comme la peste les « stratégies de rustines », les promesses fantaisistes et autres demi-mesures qui ne font que renvoyer aux calendes grecques les décisions de fond et donc surenchérir toutes solutions ultérieures.

La population, les employés, leurs représentants, l’ensemble de la société civile sont les premiers à en convenir, attachés à y contribuer et à militer pour. Encore faut-il trouver l’interlocuteur qui puisse s’engager et engager le pays et la région dans une véritable dynamique de changement et de succès. 

Habib KARAOULI

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